Bloc-notes Éco

La gouvernance des banques centrales : "un monde d’hommes ?"

Mise en ligne le 4 Octobre 2018

 

Billet n°88. Les femmes sont sous-représentées dans la gouvernance des banques centrales. En 2018, sur 173 banques centrales, seules 11 sont dirigées par une femme. À elle seule, l’éthique justifie un rééquilibrage hommes-femmes à ce niveau, mais on pourrait se demander si les femmes ont une orientation différente de celle des hommes s’agissant des objectifs de politique monétaire ? Pas nécessairement, si l’on étudie l’histoire des membres du FOMC de la Fed.

Image Les femmes sont faiblement représentées dans les comités de décision de politique monétaire
Graphique 1. Les femmes sont faiblement représentées dans les comités de décision de politique monétaire
Note : CG, Conseil des gouverneurs de la BCE (1998-2018) ; FOMC, Comité fédéral de l’open market de la Fed (1960-2015) ; MPC, Comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre (1997-2018).

La gouvernance des banques centrales est largement masculine

En 2018, sur 173 banques centrales, 11 seulement (6 %) sont dirigées par une femme. En comptant les sous-gouverneurs, la proportion de femmes est juste au-dessus de 30 % selon le 2018 OMFIF Gender Balance Index report. Si l’on considère les trois principales banques centrales où les décisions de politique monétaire sont prises au sein de comités – Réserve fédérale, Banque d’Angleterre et Banque centrale européenne – on observe des proportions similaires. Par exemple, sur les 130 membres ayant siégé au FOMC de la Fed au cours des 55 dernières années, 14 seulement sont des femmes, soit environ 10 %. La Banque d’Angleterre fait un peu mieux, avec 19 % de femmes au sein du MPC depuis sa création en 1997. Quant à la BCE, depuis 1998, les femmes ont représenté environ 16 % des membres de son Directoire et seulement 6% du Conseil des gouverneurs.

Jusqu’au début de 2018, Janet Yellen a été la première et unique femme présidente de la Fed en plus d’un siècle. Chrystalla Georghadji, gouverneur de la banque centrale de Chypre, est actuellement la seule femme dirigeante de banque centrale des 28 pays de l’Union européenne. Selon une définition plus large de gouvernance, comprenant l’ensemble des organes de décision des banques centrales (Conseil général, Conseil des gouverneurs, conseil d’administration, etc.), la part des femmes a peu varié dans l’Union européenne sur les 15 dernières années, plafonnant à 20 % environ (cf. graphique 2). Disponibles depuis 2007, les données relatives aux sous-gouverneurs des pays de la zone euro suivent une tendance haussière jusqu’en 2012, avec 6  femmes sur les 23 sous-gouverneurs (soit environ 26%), avant de se stabiliser autour de 20 % par la suite. La (sous-)représentation des femmes ne concerne pas uniquement la gouvernance des banques centrales, comme le montre un précédent billet de blog BDF consacré à la place des femmes dans la profession d’économistes.

Image Stabilisation autour de 20 % de la part des femmes dans la gouvernance des banques centrales en zone euro (ZE)
Graphique 2 : Stabilisation autour de 20 % de la part des femmes dans la gouvernance des banques centrales en zone euro (ZE)
Sources : Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) et calculs des auteurs.
Note : Les barres et les lignes indiquent le nombre de femmes dans chaque catégorie, en pourcentage du total des effectifs.

Dans de nombreuses banques centrales, des initiatives visent actuellement à promouvoir une participation plus équitable des femmes au plus haut niveau. Outre le fait que cela permettra d’optimiser l’utilisation d’un réservoir de talents, l’éthique à elle seule justifie un tel rééquilibrage. Mais on peut aller plus loin et se demander si les femmes ont une orientation différente de celle des hommes s’agissant des objectifs de politique monétaire (cf. aussi un blog récent de VOX EU sur le sujet).

Les banquiers centraux femmes sont-elles des faucons ou des colombes ?

Selon la terminologie des analystes financiers, les femmes ont-elles tendance à attribuer la priorité à la lutte contre l’inflation (faucons) ou à privilégier le soutien à la croissance et à l’emploi (colombes) ? Nous examinons le cas du FOMC à l’aide d’éléments tirés d’une base de données unique, dans laquelle les membres du FOMC sont répartis selon qu’ils soient perçus comme des faucons ou des colombes, ou pouvant passer d’un camp à l’autre ("swingers"), (cf. Istrefi, 2018). Cette classification repose sur une analyse textuelle d’articles de journaux américains depuis les années 1960, recherchant la manière dont les responsables de la Fed sont décrits du point de vue de leur orientation en faveur de l’inflation ou de la croissance. Environ 20 000 articles ou rapports, tirés de plus de 30 journaux et rapports d’activité d’analystes suivant la Fed, ont été lus pour construire cet indicateur. Selon celui-ci, sur 130 membres du FOMC, 39 % sont perçus comme des faucons, 30 % comme des colombes et 24 % comme swingers. Le reste demeure inconnu. Au sein du FOMC, les présidents de Fed régionaux sont davantage perçus comme faucons et les membres du Conseil des gouverneurs comme colombes. Les femmes (14 membres sur 130) sont davantage perçues comme des colombes que les hommes (57 % contre 27 %).

Au-delà du genre : éducation, expériences de jeunesse et soutien politique

Peut-on interpréter ce constat comme le fait que les femmes siégeant au FOMC sont davantage colombes que les hommes ? Pas nécessairement. Premièrement, l’échantillon de femmes est trop réduit pour que ces chiffres soient statistiquement significatifs. Deuxièmement, une étude ultérieure utilisant cette classification (Bordo et Istrefi, 2018) souligne deux facteurs importants à l’origine des préférences de ces membres du FOMC en matière de politique monétaire : l’idéologie et les événements marquant leur jeunesse. Ainsi les chances d’être une colombe sont plus élevées pour ceux qui : ont fait leurs études dans des universités de tradition keynésienne, (Harvard, Yale) ; ont été nommés ; enfin, sont nés pendant des périodes de fort chômage. Cela se vérifie de façon égale pour les hommes et les femmes. De plus, la majorité des femmes (11 sur 14) ont débuté leur mandat à partir des années 1990, période durant laquelle les hommes étaient eux aussi plutôt des colombes. 

Prenons par exemple le cas de Janet Yellen, qui a siégé au FOMC en tant que membre du Conseil des gouverneurs (1994-1997), présidente de la Fed de San Francisco (2004-2010) et enfin présidente de la Réserve fédérale (2014-2018). Diplômée de Yale, elle a été nommée pour la première fois au Conseil des gouverneurs par le Président Clinton en 1994, en même temps qu’Alan Blinder (diplômé du MIT). Pressentis tous les deux comme des colombes, ils ont été perçus comme tels durant leurs mandats respectifs au FOMC. Ainsi, avant leur confirmation par le Sénat, faisant allusion à leur éducation dans la tradition keynésienne et à leur nomination par un président démocrate, le Financial Times les qualifiait de "colombes de l’inflation".

Par ailleurs, les femmes perçues comme faucons et celles susceptibles de passer d’un camp à l’autre ont toutes, à une exception près, représenté des banques de réserve régionales. Fait intéressant, la moitié d’entre elles ont représenté la Fed de Cleveland, connue pour privilégier la lutte contre l’inflation (Loretta J. Mester dispose des droits de vote au FOMC pour 2018). Le genre n’apparaît donc pas être un indicateur pertinent d’orientation en matière de politique monétaire. Pour deviner l’orientation des membres du FOMC, il est plus instructif de connaître l’université dont ils sont diplômés, les événements économiques majeurs qui ont marqué leur jeunesse ou encore qui les ont nommés et à quel poste.