Bloc-notes Éco

Y a-t-il un effet d’éviction des IDE sur l’investissement local ?

Mise en ligne le 13 Septembre 2018
Auteurs : Cristina Jude

 

Billet n°84. Les flux d’investissement direct étranger (IDE) sont souvent assimilés à un complément à l’épargne domestique qui faciliterait le financement des projets locaux d’investissement. Toutefois, du fait de l’accroissement de la pression concurrentielle, ils exercent, à court terme, un effet d’éviction sur l’investissement domestique dans les pays en transition. Cet effet est atténué si les marchés financiers locaux sont suffisamment développés.

Image Les investissements domestiques souffrent d’un effet d’éviction suite à l’entrée des IDE
Graphique 1 : Les investissements domestiques souffrent d’un effet d’éviction suite à l’entrée des IDE.
Note : Courbe bleue foncée : effet des flux d’IDE sur l’investissement domestique ; courbe rouge : IDE greenfield (création d’une nouvelle entreprise ex nihilo) ; droite bleue pointillée : fusions et acquisitions.

Dans le graphique ci-dessus, le point 0 indique l’absence de réaction de l’investissement local à l’entrée des IDE. Une courbe en-dessous de 0 indique un effet d’éviction (substitution) alors qu’une courbe supérieure à 0 indique une complémentarité.

L’impact des IDE sur l’investissement domestique passe à la fois par un mécanisme concurrentiel et un relâchement des contraintes financières

Les IDE constituent un complément à l’épargne domestique, facilitant le financement des projets locaux d’investissement. D’une part, ils peuvent contribuer directement à augmenter le stock de capital, à travers l’investissement réalisé par les filiales des entreprises multinationales (MNE). D’ autre part, les entreprises locales sont susceptibles de réagir à l’entrée des investisseurs étrangers en augmentant ou en diminuant leur propre investissement. En effet, l'entrée des entreprises étrangères modifie la demande adressée aux entreprises locales. La demande peut diminuer, sous l’effet de la concurrence accrue (Markusen et Venables, 1999), ou augmenter, si les entreprises étrangères se fournissent localement (Javorcik, 2004). Enfin, lorsque les flux de capitaux associés aux IDE alimentent la liquidité des marchés financiers domestiques, ils font baisser les taux d’intérêt et assouplissent donc les contraintes financières pour les entreprises locales (Harrison et al. 2004). Ainsi, selon l’importance relative de ces effets, on peut constater la prévalence d’un effet de complémentarité ou d’un effet de substitution.  

De la difficulté d’identifier l’impact des IDE sur l’investissement domestique  …  

La littérature empirique ne fait pas émerger une conclusion claire quant à l’effet des IDE sur l’investissement domestique : certaines études concluent en faveur d’un effet de substitution (Morrissey et Udomkerdmongkol, 2012) ; d’autres confirment un effet de complémentarité (Al-Sadig, 2013). Par ailleurs, selon plusieurs experts, l’investissement domestique ne serait pas influencé par les flux entrants d’IDE (Farla et al. 2016).

Afin d’examiner le rôle des IDE dans la dynamique de l’investissement domestique, nous estimons une fonction d’investissement. Cette analyse est effectuée sur un échantillon de 10 pays de l’Europe centrale et orientale sur la période 1995-2015. Ces pays ont reçu des flux d’IDE considérables pendant les dernières trois décennies (voir Graphique 2) et ont ainsi subi une transformation industrielle majeure pendant la période de transition économique.

L’impact des IDE apparaît particulièrement important dans les pays émergents et en développement, souvent pénalisés par un déficit d’épargne. Si les IDE se substituaient à l’investissement domestique, les bénéfices des politiques visant à les attirer pourraient être remis en question.

Image Les flux nets d’IDE dans les pays d’Europe centrale et orientale
Graphique 2 : Les flux nets d’IDE dans les pays d’Europe centrale et orientale.
Note : Les données correspondent à l’ensemble des 10 pays de l’échantillon. Courbe rouge : total des flux entrant nets d’IDE ; barres bleues : décomposition en IDE greenfield et fusions et acquisitions.
Source : CNUCED.

Les IDE révèlent un phénomène de destruction créatrice

Nous mettons en évidence un impact en deux étapes (courbe en "J") des IDE sur l’investissement domestique (voir graphique 1). À court terme, pénalisé par une concurrence accrue, l’investissement domestique se contracte suite à l’entrée des entreprises étrangères. Au fur et à mesure que les entreprises locales s’adaptent et que des liens commerciaux se développent avec les entreprises étrangères, l’effet d’éviction diminue. On évalue à 4-5 ans le délai nécessaire pour que l’effet d’éviction s’estompe. À plus long terme et sous certaines conditions, l’investissement domestique est stimulé par les effets d’entrainement liés à l’intégration des filiales étrangères dans l’économie. Toutefois, cette complémentarité n’est pas systématique.

Les investisseurs domestiques réagissent selon le mode d’entrée des investisseurs étrangers

Selon le mode d’entrée de investisseurs étrangers, les IDE peuvent prendre la forme d’investissements appelés "greenfield" (création ex-nihilo d’une entreprise nouvelle) ou de fusions et acquisitions (prise de participation dans une entreprise existante).  

Les IDE greenfield  captent rapidement une partie de la demande adressée aux entreprises locales, favorisés par leur plus forte productivité et des coûts marginaux plus faibles. De ce fait, ils génèrent à court terme un plus fort effet d’éviction. En revanche, les IDE greenfield s’accompagnent fréquemment du développement de liens commerciaux au sein de l’économie nationale, notamment s’ils font appel à des fournisseurs locaux : ceci sera bénéfique à long terme pour les entreprises locales.

A l’inverse, les fusions et acquisitions n’entrainent pas d’effet significatif sur l’investissement domestique. En effet, ce sont des transferts de propriété d’actifs existants, sans addition immédiate au stock de capital. Par ailleurs, la concurrence sur le marché n’est pas modifiée de façon significative, les entreprises faisant l’objet de ces opérations étant déjà présentes sur le marché. Certes, des investissements de modernisation et d’extension peuvent avoir lieu suite à une fusion ou une acquisition, mais l’effet est plus progressif et il laisse une marge d’adaptation aux entreprises locales.

Si l’effet d’éviction est dominant, le développement financier permet toutefois de le contenir

Comme les flux de capitaux, les IDE sont susceptibles d’alimenter les systèmes financiers locaux, en augmentant l’offre financements et en favorisant la baisse des taux d’intérêt. Par la suite, en raison de leur capacité à redistribuer efficacement les ressources, des systèmes financiers développés, que ça soit le secteur bancaire ou le marché des capitaux, peuvent faciliter l’accès au financement des investisseurs locaux. À l’aide des variables d’interaction, nous montrons que les systèmes financiers développés compensent, dans une certaine mesure, l’effet d’éviction.

Dans la perspective du développement financier, le mode d’entrée des investisseurs étrangers apparait de nouveau crucial. Si les fusions et acquisitions n’apportent pas de contribution immédiate à l’accumulation de capital, elles pourraient néanmoins se révéler complémentaires à l’investissement domestique, à condition que les systèmes financiers soient suffisamment développés. En effet, lors des fusions et acquisitions, les fonds ne sont pas immédiatement affectés, et alimentent ainsi, le plus souvent, le secteur bancaire domestique. 

Enfin, dans la mesure où l’effet d'éviction à court terme résulte d'un mécanisme concurrentiel, au terme duquel ce sont les entreprises les plus productives qui restent sur le marché, l'effet global sur le bien-être national devrait être positif, car la productivité moyenne de l’économie augmente. En outre, encourager les IDE ciblant des secteurs locaux sous-développés ou utilisant des intrants locaux pourrait s’avérer utile afin d’atténuer l'effet d'éviction à court terme.